Mission Dakar-Djibouti
Les préparatifs
Pour obtenir l’appui de l’Institut d’ethnologie, Griaule dépose un premier projet en mai 1930, un an avant le départ effectif de l’expédition. Il prévoit alors un budget de 300 000 francs pour un périple de quatre personnes sur dix-huit mois entre Dakar et Djibouti, mais, à l’inverse de sa mission précédente, son projet ne cessera de prendre de l’ampleur dans les mois qui suivront, même si l’itinéraire et les moyens de transports ne varieront guère, à quelques détails près. En septembre, Griaule peut désormais compter sur six participants et, en avril 1931, ce nombre grimpe à onze tandis que les dépenses estimées dépassent désormais le million de francs. En raison de cette évolution vers une mission prestigieuse exigeant toujours plus de personnel, d’équipement et de financement, le départ, annoncé initialement pour la fin de l’année 1930, est finalement reporté au mois de mai 1931.
Pour trouver des financements et des sponsors, une campagne de presse est planifiée par Georges Henri Rivière, sous-directeur du Musée d’ethnographie du Trocadéro et administrateur parisien de la mission. Dès le début du mois d’octobre 1930, il diffuse le programme de la mission à une cinquantaine de journaux et sollicite simultanément le concours de journalistes ou de personnalités connues pour susciter des articles élogieux sur la future expédition [1]. Cette stratégie publicitaire, à laquelle Griaule et Leiris participent, se prolonge pendant plusieurs mois ; elle vise en premier lieu à séduire les mécènes et les entreprises susceptibles de sponsoriser la mission, mais elle cherche également à créer un mouvement de sympathie envers l’ethnologie en jouant sur la soif d’exotisme du grand public.
Pour des raisons similaires, Georges Henri Rivière et Marcel Griaule organisent plusieurs « coups médiatiques » peu de temps avant le départ : un gala de boxe, le 15 avril 1931, et une exposition du matériel de la mission, du 30 avril au 3 mai 1931. Le match de boxe oppose Roger Simendé, champion de France des poids plume, à l’afro-américain Alfonso Brown, champion du monde des poids coq. Ami de Rivière, Al Brown renonce à ses gains au bénéfice de la mission et offre ainsi à Griaule 101 335 francs [2]. Quant à l’exposition du matériel au Musée d’ethnographie du Trocadéro, elle répond à trois objectifs : honorer les entreprises partenaires qui ont cédé leurs produits gracieusement ou avec des réductions substantielles, faire la publicité du musée, et enfin démontrer le caractère scientifique, moderne et imposant de cette expédition ethnographique. Les provisions et l’équipement perfectionné de la mission sont en effet dévoilés au public à l’exception de ses trois véhicules Ford : chaland métallique démontable, armes de défense ou de chasse, conserves alimentaires, phonographe-enregistreur à cylindres, électroscope de radioactivité, matériel de bureau et de campement. Les cent cinquante cantines de bagages emportées par la mission comprennent également deux caméras, cinq appareils photographiques, une chambre claire, une trousse anthropométrique, une radio, une machine à écrire, sept tentes et cinq tonnes de nourriture.
À partir de janvier 1931, la campagne médiatique initiée par Rivière se double d’un intense lobbying auprès des politiques afin d’obtenir un financement exceptionnel de 700 000 francs par voie parlementaire. Un projet de loi est déposé en ce sens ; il est adopté par les députés le 28 mars et par les sénateurs dans la nuit du 31 mars au 1er avril. Promulguée le 19 avril, cette loi est importante pour trois raisons : elle confère à la mission l’assise financière dont elle rêvait, elle lui donne une légitimité nationale et elle contribue à la reconnaissance officielle de l’ethnologie. En cumulant les subventions publiques et privées, Griaule dispose ainsi sur le papier d’un budget de près de 1 228 000 francs pour son expédition [3].