Ethnozoologie
La tortue « Gringoire »
Capturer ou naturaliser des animaux sauvages fait partie du quotidien des missions Griaule. Pour la mission Dakar-Djibouti, un « permis de capture scientifique »[3] a été octroyé par le gouvernement de l’Afrique occidentale française et un naturaliste – Abel Faivre – a été recruté. Mais le plus souvent, ce sont les ethnologues eux-mêmes qui chassent ou qui confient cette mission à des auxiliaires locaux (chasseurs indigènes rapportant leurs proies au campement, enfants envoyés à la récolte d’insectes). De nombreux spécimens sont rapportés en France, pour le compte du Muséum national d’histoire naturelle, y compris des animaux vivants. Le cas le plus révélateur est celui de la grosse tortue terrestre acquise au pays dogon et baptisée « Gringoire » par la mission Sahara-Soudan.
À la fois objet ethnographique, mascotte et animal de compagnie, elle permet de documenter les nombreuses fiches consacrées aux tortues tout en s’attirant la tendresse des membres de la mission. Deborah Lifchitz, restée sur place, demande même de ses nouvelles par courrier à Michel Leiris. Exposée au Vivarium du Jardin des plantes de Paris, elle est bientôt rejointe par une congénère collectée par Jean-Paul Lebeuf chez les Fali et envoyée au professeur Guibé, directeur du Laboratoire d’herpétologie et d’ichtyologie du Muséum. Ces deux tortues ne soulèvent pas seulement des problèmes théoriques au sujet du totémisme pour les ethnologues qui les ont expédiés en France ; elles donnent aussi à voir la circulation des spécimens zoologiques dans un contexte colonial.