Enquête linguistique
Un manuel en main. La collecte de vocabulaires
Les Instructions d’enquêtes linguistiques, publiées par l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris[1] font partie des bagages des premières missions ethnographiques. Établies par Marcel Cohen[2], elles proposent un système de transcription phonétique des langues[3] qui va être utilisé pour la notation des termes vernaculaires et que l’on retrouve dans les fiches ethnographiques ou les carnets d’inventaire d’objets collectés.
L’une des premières modalités de ces enquêtes linguistiques est la collecte sommaire à la fois extensive et cumulative. Ainsi, dans certains rapports de mission, de la même façon que sont listés les objets, les langues décrites sont inventoriées sous forme de listes. Pour la mission Dakar-Djibouti, Marcel Griaule dénombre « 26 langues ou dialectes étudiés, dont la plupart inconnus jusqu’à ce jour » ; et pour la mission Sahara-Cameroun, Jean-Paul Lebeuf fait état du recueil de soixante vocabulaires d’une centaine de mots et de deux vocabulaires étendus[4].
Il s’agit, dans cette perspective, de documenter et de comparer le plus grand nombre de langues selon un protocole scientifique fixe défini par les Instructions d’enquête linguistique[5]. En introduction de ce manuel, Marcel Cohen souligne la nécessité de collecter les langues afin de les préserver : « Il est urgent de recueillir les langages qui sont près de disparaître et qu’il serait impossible plus tard d’exhumer »[6]. C’est cette urgence qui justifie le recueil rapide de vocabulaires succincts pour un grand nombre de « parlers », langues ou dialectes, selon une terminologie qui catégorise de façon vague des idiomes inconnus dont les liens de parenté sont peu ou mal perçus.
Qualifiée d’« enquête sommaire »[7], cette méthode de collecte consiste à remplir un carnet-questionnaire disponible à l’Institut d’ethnologie. Conçu là encore par Marcel Cohen, le carnet dresse une liste de mots courants, de verbes à conjuguer et de phrases complexes de façon à recueillir un échantillon standard de la langue ainsi que des éléments de grammaire. Lorsqu’ils sont ensuite publiés, les lexiques ainsi recueillis prennent la forme de vocabulaires plurilingues comparatifs[8] : la langue y est davantage présentée comme une nomenclature et l’accès à la syntaxe est extrêmement réduit.