Les collectes d’objets ethnographiques
Informations standard et fiches muséographiques
Le manuel de collecte édité en 1931 fournit un modèle de « fiche descriptive » à annexer à chaque objet afin de le documenter [102]. Cette fiche muséographique doit être établie en deux exemplaires, de préférence à partir d’un carnet manifold. Elle comprend neuf points à renseigner :
En haut, à gauche :
numéro correspondant
au registre d’inventaire
1. Lieu d’origine.
2. Dénomination et nom.
3. Description.
4. Notes complémentaires.
5. Renseignements ethniques.
6. Par qui et quand l’objet a été recueilli.
7. Conditions d’envoi au Musée (à remplir par le Musée).
8. Références iconographiques.
9. Bibliographie.
Le lieu d’origine (1) et la « dénomination » (2) doivent être donnés en français et en langue véhiculaire. La « description » (3) englobe la forme et le décor de l’objet ainsi que les techniques et les matériaux utilisés pour sa fabrication. Les « notes complémentaires » (4) rassemblent des précisions sur les usages, idées, coutumes et aires culturelles associées à l’objet. Les « renseignements ethniques » (5) visent à préciser l’identité de la personne et de la population utilisant cet artefact. Pour le point 6, le collecteur est invité à inscrire son nom et celui de sa mission, ainsi que la date à laquelle l’objet a été recueilli. Le point 7, rempli ultérieurement par le Musée d’ethnographie, sert à clarifier la nature de l’envoi (don, échange, prêt ou dépôt). Les « références iconographiques » (8) renvoient éventuellement aux photographies et aux dessins montrant la fabrication ou l’usage de l’objet. Enfin, le point 9, « bibliographie », renvoie quant à lui aux autres notes du collecteur.
Sur le terrain, les membres de Dakar-Djibouti se servent effectivement de fiches manifold produites en double exemplaire et, en règle générale, ils renseignent les six premiers points selon les normes indiquées, même s’ils ne savent pas toujours où ranger certaines informations sommaires. Par exemple, ils notent le nom du producteur de l’objet aussi bien dans les « notes complémentaires » que dans les « renseignements ethniques », voire dans les deux rubriques à la fois. Pour le point 6, ils indiquent le nom de la mission (« M.D.D. ») et la date, mais sans préciser l’identité du collecteur puisqu’il s’agit ici d’un travail d’équipe.
Pour les points suivants, les membres de Dakar-Djibouti prennent davantage de libertés par rapport au modèle qu’ils proposent par écrit. Ils leur arrivent également de se tromper. Par exemple, certains se méprennent sur la nature du point 7 : à la place des informations sur les modalités d’acquisition de l’objet par le musée, ils mentionnent leurs modalités de collecte en inscrivant « achat » [103]. Quant aux rubriques 8 et 9, elles sont rarement renseignées dans les règles ou restent en blanc, faute de documents associés. Lorsqu’elles sont indiquées, les références iconographiques et bibliographiques renvoient pour la plupart aux photographies de l’objet en contexte, mais quelques-unes font également le lien avec les films, les fiches thématiques ou les enregistrements sonores [104].
Si ce modèle de fiche descriptive était déjà en usage au Musée d’ethnographie depuis le milieu de 1929 ou le début des années 1930 [105], la mission Dakar-Djibouti est la première à en faire la publicité et à l’expérimenter massivement sur le terrain. Trois semaines après le retour de l’expédition, Paul Rivet et Georges Henri Rivière organisent une réunion au Musée d’ethnographie, en présence de Marcel Griaule, Michel Leiris, André Schaeffner et Éric Lutten, pour discuter d’éventuelles modifications à apporter aux Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques [106]. Leurs réflexions communes aboutissent à quelques modifications mineures, en particulier l’ajout, sur la fiche descriptive, d’un dixième point intitulée « divers » [107]. C’est cette description en dix points qui deviendra la norme pendant plusieurs décennies, tant au Musée d’ethnographie et au musée de l’Homme que sur le terrain, au cours des missions ethnographiques.
Les références portées sur les fiches muséographiques renvoient parfois, on l’a vu, à des documents manuscrits moins succincts. Pour Dakar-Djibouti, Sahara-Cameroun ou Lebaudy-Griaule, il s’agit avant tout de fiches thématiques manifold précisant par exemple les techniques de fabrication de l’objet, les manières de l’utiliser, les noms vernaculaires de ses différentes parties. Rédigées avec une plus grande liberté, elles sont classées aux entrées correspondant à leur titre (« ustensiles », « pêche », « piège », « masque », « alimentation », « circoncision »…), au sein d’un fichier commun pour l’un des deux exemplaires produits, et au sein d’un fichier personnel pour le second. Pour les peintures éthiopiennes de Dakar-Djibouti, Griaule dispose également d’un carnet de fiches détachables et numérotées dans lequel il détaille les scènes représentées et traduit les inscriptions en amharique [108]. Au cours de la même mission, Michel Leiris note de son côté la distribution géographique d’un même objet sur un carnet de terrain intitulé « aires d’extension » [109].