Les collectes d’objets ethnographiques
Étiquetage, emballage et transport
Le manuel édité par la mission Dakar-Djibouti juste avant son départ – Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques – donne quelques brèves directives sur l’étiquetage des spécimens : inscrire directement sur l’objet (ou sur une étiquette) le numéro qui lui est attribué et qui doit renvoyer à l’inventaire fait par le collecteur. Le livret recommande également de rédiger un bordereau d’envoi en double exemplaire : l’un accompagne la caisse d’objets tandis que l’autre est posté séparément, pour plus de sûreté [92].
Sur le terrain, les membres de Dakar-Djibouti respectent à la lettre de telles règles. Le numéro est marqué à l’encre sur le bord de l’objet [93] et reporté à la main sur un carnet d’enregistrement tenu principalement par Michel Leiris, secrétaire archiviste de la mission. Ce carnet d’inventaire fournit, sur une même ligne, le numéro de l’objet, son nom ou sa description succincte, parfois son prix (indiqué au crayon) et enfin le numéro de la caisse où il est emballé et rangé. Le lieu et la date de collecte sont généralement précisés en haut de la page [94]. Dactylographié, le bordereau d’expédition fournit quant à lui le nombre d’objets contenu dans chaque colis envoyé ainsi que leurs numéros. Au double acheminé par la poste, Michel Leiris joint parfois des « Notes d’instructions applicables lors de l’arrivée des prochains colis » adressé au Musée d’ethnographie. Le 28 novembre 1931, il précise par exemple le sens d’ouverture des caisses, recommande de tenir fermés et en lieu sec les colis de pierres peintes dogon, et s’inquiète des dommages que pourraient subir la croûte de sang des objets sacrificiels lors de leur désinfection [95].
Les caisses sont expédiées successivement depuis Dakar, Bamako, Mopti, Cotonou, Niamey, Douala… À l’arrivée au Trocadéro, Marcelle Bouteiller – aide technique du musée – procède à l’ouverture, au déballage et au pointage méthodique des objets. Elle récupère également les fiches d’informations les concernant. La désinfection de ces objets, souvent attaqués par les insectes, est la tâche d’Adrien Federovski [96].
Les méthodes expérimentées au cours de Dakar-Djibouti s’appliquent probablement à l’envoi des collections suivantes, Sahara-Soudan et Sahara-Cameroun, même si les documents d’archives disponibles sont trop lacunaires pour mesurer d’éventuels changements. Dans le cas de la mission Sahara-Soudan de 1935, les procédures sont toutefois simplifiées puisque les caisses d’objets arrivent au musée plusieurs mois après le retour de Griaule et de son équipe [97]. Quant au carnet d’inventaire des objets, il n’évolue qu’à la marge. Lors de la mission Lebaudy-Griaule par exemple, le numéro porté en fin de ligne ne renvoie plus à la caisse d’envoi, mais à la fiche thématique qui documente l’objet [98].
Pour éviter la détérioration des spécimens au cours de leur transport, les Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques donnent quelques conseils, notamment à propos des procédés et des matériaux de calage. Il est à noter que de telles recommandations semblent empruntées à un autre manuel plutôt qu’aux cours de Marcel Mauss. En effet, des phrases entières sont tirées de la partie « Packing » de la cinquième édition de Notes and Queries on Anthropology [99], classique de l’anthropologie cité d’ailleurs dans la bibliographie. Sur le terrain, les membres de Dakar-Djibouti appliquent effectivement ces méthodes d’emballage, voire les perfectionnent. Comme le montre une photo prise au Sénégal [100], ils complètent les procédés décrits en entourant de ruban adhésif deux poteries, probablement pour éviter que des morceaux ne bringuebalent dans la caisse si les objets se brisent.
Parce qu’elles sont méthodiques, les tâches quotidiennes de collecte, d’étiquetage, d’inventaire et d’emballage sont particulièrement lourdes et fastidieuses, surtout lors de récoltes massives. Au début de Dakar-Djibouti, Michel Leiris s’en plaint à son épouse : « Nous avons un travail de plus en plus écrasant. Toute la journée se passe à recueillir des objets, à les étiqueter, les enregistrer, les emballer. J’ai beaucoup plus l’impression d’être un comptable qu’un aventurier » [101].