Les collectes d’objets ethnographiques
Documentation photographique
En décembre 1930, Marcel Griaule donne une conférence axée sur la méthode ethnographique. Il y insiste déjà sur la nécessité d’entourer chaque objet d’un faisceau d’informations visuelles sur sa fabrication et son usage, afin de rendre compte de son quotidien, de sa naissance à sa mort :
Chaque document devra être étayé d’une longue série d’observations dont les racines s’étendront dans toutes les directions de l’activité humaine. Dans ce but, on prendra pour chaque objet une photographie de son cadre, de son milieu […] [110].
Quelques mois plus tard, en mai 1931, le manuel de collecte publié par la mission Dakar-Djibouti réaffirme l’importance des photographies pour redonner vie à l’objet collecté [111]. Des « instructions pour la photographie » sont d’ailleurs rassemblées dans le premier appendice de ce livret.
Sur le terrain, les ethnographes formés à l’Institut d’ethnologie n’appliquent qu’une partie de ces préconisations, toutes inspirées des cours de Mauss [112]. Le manuel conseille par exemple de placer, à côté de l’objet photographié, un mètre à grosses graduations ou un objet connu pour servir d’échelle, mais un tel procédé est rarement employé. Au cours de Dakar-Djibouti, il est même exceptionnel et semble réservé aux récipients éthiopiens photographiés hors contexte devant un drap blanc [113]. En revanche, pendant la mission Sahara-Cameroun, Jean-Paul Lebeuf donne plus fréquemment l’échelle en posant son casque colonial au pied de l’objet qu’il veut saisir sur sa pellicule [114] (à défaut, parfois, de pouvoir l’emporter).
Une autre instruction est davantage respectée : photographier l’objet dans son cadre d’origine avant de le recueillir. C’est particulièrement vrai au début de Dakar-Djibouti. Dans une lettre datée du 29 juin 1931, Griaule annonce d’ailleurs à Mauss que « la plupart des objets sont photographiés en place, avant même d’être pris en main » [115]. Lorsqu’il s’agit d’un instrument, d’un jouet, d’une pièce de vêtement, d’un bijou ou d’un masque, les photographies, prises parfois de différents angles, servent à montrer la façon dont il est utilisé, tenu ou porté. Elles peuvent aussi saisir cet objet dans le contexte de sa vente, au marché, ou donner à voir son lieu d’usage ou de rangement habituel. Enfin, de façon récurrente, les ethnographes suivent la fabrication d’un objet – ajouté par la suite à leur collection – en prenant un grand nombre de clichés à toutes les étapes de ce travail [116], avec notamment des gros plans pour saisir les mouvements des mains ou son résultat.
Bien entendu, cela ne signifie pas que ces photographies soient toutes prises sur le vif. La démonstration de l’usage, du port ou de la fabrication d’un objet se fait souvent à la demande des ethnographes, avant ou après l’acte d’achat. Sur de nombreux clichés, ce sont d’ailleurs leurs interprètes ou leurs informateurs privilégiés qui servent de modèle ou de démonstrateur, à l’instar de Mamadou Vad montrant successivement le maniement du jeu n° 385, l’emploi de la houe n° 412 et « la façon de tenir le filet n° 1062 » [117].
Dès qu’il est connu, le numéro d’inventaire de l’objet est ajouté, sur le carnet photographique de la mission, aux autres informations succinctes qui servent de légende à chaque cliché. La photographie est alors légendée « Usage du couteau de taille n° 2520 », « Femme jouant de l’instrument n° 194 », « Mise en place du piège, objet n° 3087 », « Façon de porter le bonnet n° 1900 », « Masques 1907-1908-1905-1906 », « Fort-Lamy – Vendeuse (arabe essala) de l’objet n° 2670 » [118]… Pour certaines légendes, en particulier en 1935, ce numéro reste toutefois en blanc, faute d’avoir été reporté [119].