Les collectes d’objets ethnographiques
La collection Sahara-Soudan
En 1935, la troisième mission Griaule – Sahara-Soudan – séjourne pendant deux mois en pays dogon, de février à mars, afin de compléter les recherches et les collectes précédentes. Pour le choix des objets, l’évolution constatée en 1931 se poursuit et s’amplifie : l’objectif des ethnographes n’est plus l’archivage exhaustif de la culture matérielle dogon, mais la quête d’objets magnifiques, mystérieux ou anciens.
Sur les 350 objets recueillis, la part d’ustensiles, de jeux et de vêtements de la vie quotidienne ne représente plus qu’un sixième de la collection. Inversement, la proportion de masques a quasiment doublé par rapport à 1931 : plus de 80 en incluant parures et accessoires [27]. Les objets inachevés ou réparés ont quant à eux disparu à l’exception justement de deux masques en cours de fabrication [28]. Parmi les objets cultuels, majoritaires, on trouve également une quarantaine de statuettes et de coupes en bois. D’autre part, la mission a intensifié sa collecte d’objets de prestige ou de décoration : elle a recueilli plus de trente bijoux, dont une quinzaine d’épingles à cheveux, ainsi qu’une trentaine d’étriers de poulie, de portes ou de serrures sculptées. La recherche de belles pièces est d’ailleurs encouragée depuis Paris par Georges Henri Rivière, sous-directeur du Musée d’ethnographie [29].
La part importante de masques s’explique en partie par les études que Marcel Griaule leur consacre en prévision de sa thèse [30], avec une volonté d’inventaire exhaustif, mais elle traduit également la fascination croissante du chef de mission pour les vestiges ou les secrets séculaires dissimulés selon lui au fond des grottes ou des sanctuaires. Une grande partie des objets recueillis sont en effet de vieilles statuettes ou des masques endommagés, extraits des anfractuosités rocheuses et des niches où ils avaient été cachés ou abandonnés. Éric Lutten estime lui-même que les masques collectés sont pour moitié des pièces anciennes [31], toutes jugées « admirables » par les autres membres de la mission. Dans une revue grand public, Hélène Gordon rapporte ainsi que leur collection comprend « de véritables objets d’art », dont des statuettes, des coupes et « des dizaines de masques admirables, vieux de plusieurs siècles » [32].
De tels objets ne servent plus à témoigner des activités quotidiennes ou techniques ; ils sont traités comme des indices ou des preuves permettant d’accéder aux institutions religieuses les plus fermées et aux tréfonds de la société dogon, comme le souligne Marcel Griaule au retour de Sahara-Soudan :
L’inventaire des objets contenus dans l’auvent des masques d’Ogoldognou, par exemple, donnera s’il est bien conduit, s’il pousse ses racines au fond de chaque détail, un énorme pan de la Société des masques. Il en sera de même pour l’inventaire d’un sanctuaire totémique. Chaque clochette, chaque ferraille, chaque poterie est la tête de ligne d’un petit voyage en pays inconnu [33].