Les collectes d’objets ethnographiques
La collection Lebaudy-Griaule et l’après-guerre
Amorcée lors de Sahara-Cameroun, la double collecte d’objets courants et de spécimens exceptionnels se poursuit selon d’autres modalités lors de la mission Lebaudy-Griaule en 1938-1939 [41]. Pour le compte de Jean Lebaudy, qui finance cette mission, les membres de l’équipe Griaule rassemblent en effet de belles pièces archéologiques sao et de magnifiques sculptures dogon ou kouroumba (en particulier des masques), toutes destinées au musée fondé par Lebaudy dans son château de Cabrerets. Les objets récents et ordinaires récoltés en pays kouroumba, kotoko, sara ou koula sont déposés en revanche au musée de l’Homme. La plupart d’entre eux sont des jouets d’enfants en terre, en tiges de mil, en calebasse, voire en boîte de conserve [42]. Cette seconde collection comprend également un échantillonnage de poteries aux sept stades de leur fabrication [43].
Toutes les missions Griaule des années 1930 tentent ainsi, avec plus ou moins de succès, de satisfaire aux deux aspirations contradictoires des ethnographes et des muséographes de l’époque : d’une part, collecter systématiquement une grande variété d’artefacts pour rendre compte de toutes les facettes d’une société, et, d’autre part, recueillir des séries de beaux objets, des pièces maîtresses de l’art ou de la religion, ainsi que des preuves matérielles du passé. Quant aux missions Paulme-Lifchitz et Ganay-Dieterlen, les collectes précédentes les dispensent d’un inventaire méthodique de la culture matérielle dogon : la première ne recueille que de superbes objets, tandis que la seconde ne rapporte que des collections botaniques et zoologiques.
Dans les années 1940, Griaule et ses collaboratrices les plus proches cessent toute collecte massive ; ils procèdent soit à des acquisitions de circonstance, par exemple sur un marché ou dans une grotte, soit à des récoltes sélectives d’objets usuels ou cultuels qui témoigneraient, par leurs formes ou leurs motifs, des mythes que les ethnologues recherchent et étudient. Sur leur terrain dogon ou bambara, ils suscitent d’ailleurs la fabrication de modèles de démonstration reproduisant par exemple l’arche mythique décrit par leurs informateurs [44]. Pour l’école Griaule, la valeur symbolique de l’objet ou sa portée cosmogonique devient en effet plus importante que son usage, sa confection, son « authenticité » ou sa beauté. Par ailleurs, les objets recueillis ne sont plus déposés au musée de l’homme mais à l’Institut français d’Afrique noire, à Dakar [45].