Manuscrits éthiopiens
La tradition orientaliste et la collecte des manuscrits chrétiens
James Bruce fut l’un des premiers savants-voyageurs à collecter de façon systématique des manuscrits en Éthiopie, consultables aujourd’hui à la Bodleian Library à Oxford. Cette pratique s’est généralisée au siècle suivant, avec les collectes d’Eduard Rüppel (présent à Gondar en 1833) et d’Antoine d’Abbadie (qui vécut en Éthiopie de 1837 à 1848) jusqu’aux missions diplomatiques de la fin du XIXsiècle. L’objectif était d’alimenter les bibliothèques européennes ou américaines. Ainsi, pour guider ses choix, l’expédition militaire anglaise de 1868 était accompagnée d’un bibliothécaire du British Museum.
En préparant la mission Dakar-Djibouti, Griaule entend s’inscrire lui aussi dans la lignée érudite de ces orientalistes puisque l’un de ses objectifs est de collecter des manuscrits, tous destinés à la Bibliothèque nationale. Pour leur achat, il bénéficie d’ailleurs d’un budget spécifique de 75000 francs, grâce à la générosité du mécène David David-Weill. Si Griaule comptait probablement se charger lui-même de ces acquisitions, il embauche en cours de route Deborah Lifchitz qui venait de terminer ses études en langues sémitiques à l’École des langues orientales ainsi qu’un cursus en ethnologie à l’Institut d’ethnologie. Maîtrisant le guèze et l’amharique, elle rejoint la mission début juillet 1932 à Gondar où elle mène des enquêtes linguistiques et coordonne la collecte de manuscrits. Elle note jour après jour l’entrée des manuscrits acquis dans des carnets et en fait un premier descriptif succinct (ms. BnF Eth. 663).
Les manuscrits recueillis sont de facture et d’origine diverses. Les textes liturgiques ou bibliques achetés par la mission sont soit des originaux, comme l’hagiographie médiévale du saint Takla Haymanot (xve siècle, ms. BnF Eth. 342), soit des copies, à l’instar du récit de l’assassinat du souverain Iyasu I (1687-1706) (ms. BnF Eth. 338). Ce texte exceptionnel était conservé à Gondar dans l’église royale de Dabra Berhan Selassié. Fondée par le roi Iyasu I lui-même, elle fut l’une des rares églises de la ville à ne pas avoir été détruite ou pillée lors des troubles de la seconde moitié du XIXe siècle. Un prêtre de cette église, conscient de l’importance historique de ce texte, en réalisa une copie qu’il vendit à la mission.
En plus des manuscrits, deux imprimés sont aussi acquis, à une époque où l’Éthiopie a encore peu édité d’ouvrages, et où les livres en langues éthiopiennes sont encore rares. L’un d’entre eux est un Évangile en guèze édité en 1828 par Thomas Pell Platt en Angleterre et ayant servi de support pour des notes en amharique (ms. BnF Eth. 638). Enfin, la mission Dakar-Djibouti collecte aussi un grand nombre de rouleaux de parchemin sur lesquels figurent des peintures et des prières protectrices contre les principaux démons responsables d’infortunes ou de maladies. Ces textes magiques sont étudiés au retour par Deborah Lifchitz[2].