Manuscrits éthiopiens
Les recensements effectués par des collaborateurs éthiopiens
Parmi les enquêtes commandées par Griaule en 1932, les « recensements » occupent une place centrale et mobilisent de nombreux collaborateurs éthiopiens. Munis de leur carnet de notes, ceux-ci quadrillent la ville de Gondar afin de tout inventorier selon des critères explicités en amharique dans le manuscrit Eth. 626.
En voici la traduction française telle qu’elle a été consignée dans les fiches de la mission (ms. BnF Eth. 664) :
1) On ne compte pas les enfants non mariés qui sont dans la maison de leur père et leur mère, ni les domestiques
2), les servantes et les serviteurs
3) qui n’ont pas leur fumée [foyer]. Pourquoi ? [Parce que] ils ne sont pas en dehors de la maison. On compte leurs armes. Ils ne payent pas la dette de l’impôt
4) du foyer.
Ajoutées probablement par Marcel Griaule, les notes 1 à 4 fournissent des précisions supplémentaires sur les règles de présentation de chaque recensement :
1) En tête il y a toujours le nom de l’église, puis le chef de l’église et celui qui a fait le recensement. Après la première partie, pour la première église, il y a un exposé du travail. Ensuite le recensement se présente de la façon suivante : le nom du maître de la maison ou de la maîtresse de la maison ; le nom de l’arme s’il y en a une ; ce qui est poinçonné sur l’arme, parfois un numéro qui est là pour faciliter le recensement des foyers et le métier. Les noms des femmes sont soulignés de deux traits. Les autres noms propres d’un seul trait. Les paroisses ne sont pas classées, ni les habitants de chaque paroisse. Ils ont été inscrits tels qu’ils ont été recueillis par le recenseur.
2) ሎሌ : c’est-à-dire domestique engagé pour une certaine somme et vivant à la maison du maître.
3) አገልጋይ : c’est-à-dire esclave.
4) Impôt imposé par le chef du pays à chaque foyer. Il varie suivant les richesses et la terre labourée, mais est indépendant du nombre de personnes qui compose chaque foyer.
La totalité de la ville de Gondar est ainsi mise en fiche ! Un de ces recensements, effectué sur la paroisse d’Abuna Bét Gabriel, dénombre la totalité des habitants de chaque foyer, enfants, serviteurs et esclaves compris (ms. BnF Eth. 600). Il permet de compléter le premier en donnant un aperçu de la composition de chaque foyer. Un autre dresse une liste d’une précision remarquable de tous les objets que possède chaque foyer (ms. BnF Eth. 601). Y sont dénombrés : les animaux (avec leurs noms s’ils en ont) ; les armes et munitions ; l’argent ; les vêtements ; le mobilier ; tous les objets, les ustensiles de cuisine étant majoritaires ; les outils ; les possessions foncières (gult, rim, rest, bota) ; les arbres et les plantes ; les ruches ; les réserves de grains, de piments ; les maisons ; les bijoux. En plus des données recueillies, ces recensements documentent un état de la langue amharique à un moment donné et dans un lieu donné. Ainsi la liste des possédés (ms. BnF Eth. 633) utilise-t-elle abondamment la métathèse, à savoir une inversion des syllabes permettant de créer un langage compris par un petit nombre (l’équivalent de notre verlan). Ces pratiques orales furent fixées par la demande singulière de l’ethnographe et par le truchement de celui qui récolta ces listes pour le moins particulières. Ces recensements furent pour la plupart traduits et annotés en français à Gondar ou après le retour de la mission.