Enquête linguistique
Des chaînes de traduction complexes
Que la collecte linguistique concerne de simples listes de vocabulaires ou des textes suivis, elle repose sur des chaînes de traduction complexes puisqu’elle dépend de la compétence d’informateurs et d’interprètes plurilingues. Ainsi, pour les enquêtes sur différentes langues peu connues du Nord-Cameroun, ce sont des militaires ou des fonctionnaires « indigènes » parlant peul et français qui servent d’intermédiaires : chaque interprète s’adresse en peul à des informateurs familiers de cette langue véhiculaire afin qu’ils lui transmettent une liste de mots équivalents dans leur langue maternelle, puis il traduit leurs réponses en français. Sur d’autres terrains, ce sont les enfants scolarisés en français qui sont mis à contribution.
Certains ethnographes, comme Marcel Griaule et Deborah Lifchitz, ont pourtant suivi des cours de langues à l’École nationale des langues orientales mais leurs compétences en amharique ne leur sont d’aucune utilité en dehors de l’Éthiopie. Par ailleurs, il faut du temps pour exercer son oreille à transcrire une langue totalement inconnue. Les devinettes et formules argotiques recueillis par Jean-Paul Lebeuf au Cameroun en 1936 et 1937 attendront 1972 pour être publiées, après la révision des transcriptions et des traductions par le linguiste Pierre-Francis Lacroix[11]. Plusieurs terrains prolongés seront donc nécessaires avant que les ethnologues africanistes des années 1930 n’acquièrent des compétences linguistiques suffisantes pour communiquer avec leurs informateurs. Les interprètes resteront malgré tout des maillons clés de la recherche pendant plusieurs décennies, en particulier en pays dogon.