Cinéma ethnographique
Quelles instructions cinématographiques pour Dakar-Djibouti ?
En avril, pour pallier les défections des sociétés Paramount et Gaumont, Griaule se résout à confier à un opérateur amateur – Éric Lutten – les deux caméras 35 mm de la mission : un appareil de marque Éclair équipé d’une tourelle de quatre objectifs et d’un magasin de 110 mètres de pellicule, ainsi qu’une « Kinamo », appareil plus compact doté d’un moteur à ressort et d’un magasin de 25 mètres [22]. Deux trépieds et 20 000 mètres de film [23] complètent ce matériel.
Au moment du départ, on ne sait pratiquement rien sur les films que Lutten ou Griaule comptent réaliser ou sur les méthodes qu’ils prévoient d’employer. Dans les Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques, édité début mai 1931, il n’est jamais question de cinéma, à l’exception d’une brève suggestion de film pour enregistrer certains mouvements « athlétiques » ou sportifs comme le saut ou la natation [24]. Rédigé par Leiris et Griaule d’après les cours de Marcel Mauss de 1926, ce texte ne cesse en revanche de prôner l’usage de la photographie pour documenter la fabrication ou l’usage d’un objet et, plus généralement, pour rendre compte de toutes les activités humaines. Des « instructions pour la photographie » sont même fournies en appendice. Cette occultation du cinéma peut surprendre dans un manuel d’enquête et de collecte édité par une mission dotée de deux caméras, mais il faut se rappeler que Mauss lui-même ne traitait guère des méthodes cinématographiques dans ses cours de la seconde moitié des années 1920 [25]. Cela s’explique d’ailleurs aisément : les films purement ethnographiques sont encore rares à cette époque, alors que la photographie a déjà une longue histoire en ethnologie, en tant que document de travail ou d’illustration.
Un second texte de la mission – le communiqué de presse du 30 avril 1931 [26] – évoque succinctement les résultats cinématographiques attendus. Il énumère simplement les sujets à photographier et à filmer sans faire de distinction entre les deux modes de prise de vues : « scènes, type, localisation et usage des objets, milieu géographique, faune et flore, etc. ». En dépit de son imprécision, on peut déduire de cette liste que les documents cinématographiques, tels qu’ils sont envisagés, ne relèvent pas exclusivement de l’ethnographie et ne se distinguent pas clairement de leurs équivalents photographiques, du point de vue des sujets abordés. Cela se vérifiera d’ailleurs sur le terrain, du moins en partie.