Cinéma ethnographique
L’enseignement par le cinéma
Dès sa thèse sur Les masques dogons (1938), Griaule avait utilisé les rushes de 1931 et 1935 pour décomposer sous forme de dessins les pas de danse et les mouvements des masques, en retenant et en décalquant une image sur deux ou sur trois [85] sur le modèle des chronophotographies d’Étienne-Jules Marey. En mars 1943, dans ses cours d’ethnographie sur l’esthétique, Griaule vante d’ailleurs la supériorité du cinéma sur la photographie pour l’étude de la danse :
Elle [la photographie] donne à peine un geste, généralement troublé. Il faut le cinéma et il faut décomposer. Je me permets de vous donner comme exemple ce que j’ai fait dans ma thèse des Masques dogons ; vous verrez que j’ai décomposé chaque attitude de danse ; ce qui donne un maximum de précision […]. Le cinéma est indispensable [86].
Griaule projette également des extraits des images tournées en 1935 pour animer des conférences grand public, notamment à la salle Pleyel en 1938 [87]. Sur la diffusion des courts-métrages produits en 1940 et 1942, on sait simplement que Griaule présente ses deux premiers documentaires à la Société des africanistes en juin 1942 [88], puis dans différentes galas ou cycles de conférences organisés par le Club des explorateurs, dont Griaule est membre. En avril 1943, Au pays des Dogons est ainsi au programme du « gala cinématographique de l’aventure » au théâtre du Palais de Chaillot, dans le cadre du premier « congrès du film documentaire » [89]. Et en mars 1944, Sous les masques noirs est projeté dans un cinéma de Rennes pour accompagner une conférence [90].
En revanche, l’utilisation de ses films à des fins didactiques est mieux connue et Griaule lui-même recommande ce procédé d’enseignement :
Le cinéma est pour moi un auxiliaire au même titre que tout autre méthode d’enseignement. Il semble, dans certains cas, absolument indispensable pour faire comprendre à l’élève ce que nous voulons lui enseigner [91].
En mars 1943, Griaule, récemment nommé professeur, projette intégralement Au pays des Dogon à ses étudiants lors de ses premiers cours sur les techniques et l’esthétique[92]. Il commente lui-même les images, sans doute après avoir coupé le son, mais ne s’éloigne guère du texte original, d’après ses notes manuscrites [93]. Il ajoute simplement quelques précisions, notamment géographiques, en donnant le nom de deux villages.
Pour Griaule, ses documentaires ethnographiques ou ses « bandes de démonstration » sont donc avant tout des supports d’enseignement ou de vulgarisation scientifique, en lien avec un cours, une conférence ou une exposition, tandis que ses rushes sont des archives visuelles et des outils de recherche. Lorsqu’il examine le rôle du cinéma dans son ouvrage sur la Méthode de l’ethnographie, Griaule cite d’ailleurs en premier la « valeur d’archives » et l’efficacité didactique du film [94]. À la lecture de son manuel, on devine toutefois son regret de ne pas avoir réalisé une oeuvre plus artistique, susceptible de toucher un large public. Pour réaliser un « documentaire public », il conseille en effet de « s’associer à une firme cinématographique [95] », alors qu’il n’y est jamais parvenu.